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Allocation chômage en Algérie : 3,2 milliards de dollars et une hausse à 18.000 DA – Analyse

Allocation chômage en Algérie

L’Algérie a engagé des sommes considérables pour soutenir sa population face au chômage. Lors d’un séminaire national sur l’emploi tenu début décembre, le ministre du Travail, Abdelhak Saihi, a dévoilé que l’État a alloué plus de 420 milliards de dinars, soit environ 3,2 milliards de dollars, au financement de l’allocation chômage. Cette mesure sociale d’envergure, instituée en 2022, concerne plus de 2,3 millions de jeunes Algériens âgés de 19 à 40 ans. Ce chiffre pharaonique intervient dans un contexte où le gouvernement vient d’approuver une augmentation de cette allocation, la portant de 15.000 à 18.000 dinars par mois à compter de janvier 2026. Cette décision, actée lors d’un Conseil des ministres présidé par le président Abdelmadjid Tebboune, soulève à la fois des questions sur la soutenabilité budgétaire de telles dépenses sociales et sur leur efficacité à long terme pour résorber le chômage structurel.

Une mesure sociale de grande ampleur : coût et bénéficiaires

La politique d’allocation chômage en Algérie représente un pilier majeur de l’action sociale de l’État. Le ministre Saihi a rappelé qu’il ne s’agissait pas d’une simple aide temporaire, mais d’un « mécanisme social efficace visant à protéger les jeunes pendant leur recherche d’emploi ». Le dispositif inclut un parcours de soutien avec de la formation et de l’orientation pour faciliter l’insertion professionnelle.

L’enveloppe actuelle de 420 milliards de dinars (3,23 milliards de dollars) couvre le versement de 15.000 DA par mois à plus de 2,3 millions de bénéficiaires. Cette masse de bénéficiaires représente un indicateur significatif de la pression sur le marché du travail. En la rapportant à une population active estimée à environ 14 millions de personnes, elle correspond à un taux de chômage implicite avoisinant les 15%, un chiffre qui cadre avec les analyses de certains experts économiques.

Une caractéristique frappante de ce dispositif est la forte proportion de femmes parmi les allocataires. Selon les déclarations ministérielles, 71% des bénéficiaires sont des femmes, contre 29% d’hommes. Cette disparité reflète probablement les difficultés persistantes d’accès des femmes algériennes au marché formel de l’emploi.

Avec la revalorisation à 18.000 DA, la facture annuelle pour l’État s’alourdira substantiellement. Sur la base du même nombre de bénéficiaires, le coût annuel passerait à environ 504 milliards de dinars, soit près de 3,9 milliards de dollars. Le ministre a confirmé qu’un budget « important » avait été adopté pour prendre en charge cette hausse, témoignant selon lui de « l’attachement de l’État à sa vocation sociale ».

Contexte économique : entre pression sociale et contraintes budgétaires

La décision d’augmenter l’allocation chômage s’inscrit dans un ensemble de mesures sociales annoncées fin novembre, incluant également la revalorisation du Salaire national minimum garanti (SNMG). Ces initiatives sont présentées comme une réponse à l’érosion du pouvoir d’achat des ménages, confrontés à une inflation persistante. Des estimations non officielles évoquent un taux d’inflation dépassant les 9%, rognant la valeur réelle des revenus.

Cependant, cette politique sociale généreuse entre en tension avec les réalités macroéconomiques du pays. L’économie algérienne reste fortement tributaire des hydrocarbures, dont les recutes conditionnent les capacités de dépense de l’État. Or, les prévisions pour 2026 tablent sur un prix de référence du baril de pétrole fixé à seulement 60 dollars, un niveau modeste. Cette situation crée une pression sur les finances publiques.

Le déficit budgétaire est une préoccupation majeure. Après s’être établi à 62 milliards de dollars en 2024, il est estimé à 64 milliards pour 2025 et pourrait atteindre 75 milliards de dollars en 2026. Dans ce cadre, les transferts sociaux, évalués à 46 milliards de dollars pour 2026, représentent un poste colossal. Ils sont considérés comme essentiels pour « garantir la cohésion sociale », mais leur financement durable interroge. Des institutions comme le Fonds monétaire international (FMI) ont alerté sur la nécessité d’un ajustement budgétaire pour renforcer la résilience économique, soulignant que pour maintenir l’équilibre budgétaire, l’Algérie aurait besoin d’un prix du baril à au moins 150 dollars.

Défis et critiques : au-delà de l’aide financière immédiate

Si l’augmentation de l’allocation est généralement perçue comme un soutien nécessaire, des voix s’élèvent pour en pointer les limites. La mesure est saluée pour le répit immédiat qu’elle apporte à des millions de foyers, mais elle est souvent analysée comme une réponse ponctuelle à une crise de pouvoir d’achat devenue structurelle. Sans une stratégie anti-inflation robuste et des réformes économiques profondes, son impact pourrait être éphémère, rapidement absorbé par la hausse continue des prix des produits de première nécessité.

La question de l’efficacité du dispositif dans la lutte contre le chômage est également centrale. Le président Tebboune a lui-même insisté sur la nécessité de disposer d’une base de données nationale actualisée pour distinguer les chômeurs effectifs des personnes déjà insérées dans le monde professionnel, un problème qui affecte la crédibilité des statistiques officielles. L’objectif affiché est de mieux orienter les bénéficiaires vers l’emploi et la formation. Le ministre Saihi a d’ailleurs appelé à « adopter des visions novatrices et des politiques d’emploi plus flexibles et efficaces », évoquant la nécessité de développer les compétences numériques ou de s’adapter à l’émergence de l’économie verte.

Un autre défi réside dans la diversification économique. La dépendance aux hydrocarbures limite la création d’emplois productifs dans d’autres secteurs. La Banque mondiale, dans son rapport de suivi de l’automne 2024, note que malgré une croissance du PIB, la baisse des exportations d’hydrocarbures et la hausse des dépenses publiques réduisent l’excédent du compte courant. Elle recommande une politique budgétaire prudente. La diversification est donc présentée comme une condition sine qua non pour créer des emplois durables et réduire à terme le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale.

Perspectives : entre soutien social et impératif de réformes

L’allocation chômage en Algérie se trouve au carrefour d’enjeux économiques, sociaux et politiques. D’un côté, elle constitue un filet de sécurité indispensable pour une large fraction de la jeunesse et contribue à une certaine stabilité sociale. La hausse à 18.000 DA, couplée à la fixation d’une durée minimale d’un an renouvelable, en renforce le caractère structurant.

De l’autre, son coût exerce une pression croissante sur des finances publiques déjà sous tension, dans un contexte de revenus pétroliers incertains. Les recommandations formulées lors du séminaire national sur l’emploi, auxquelles participaient plusieurs membres du gouvernement et des représentants des secteurs économique et syndical, devront servir de « base à la poursuite des réformes ». La feuille de route pour les années à venir semble devoir articuler plusieurs axes : optimiser la gestion et le ciblage de l’allocation elle-même pour qu’elle soit davantage un tremplin vers l’emploi ; engager des réformes structurelles pour stimuler la création d’entreprises et d’emplois dans les secteurs non pétroliers ; et maintenir une discipline budgétaire pour préserver la stabilité macroéconomique, comme y invitent les institutions financières internationales.

L’équilibre est fragile. Comme le relèvent certains analystes, les annonces sociales, bien que nécessaires, risquent de demeurer des « réponses ponctuelles » si elles ne s’accompagnent pas d’une transformation plus profonde du modèle économique. L’enjeu pour les autorités algériennes est de transformer cette allocation, perçue par certains comme une dépense, en un véritable investissement dans le capital humain et social du pays.