Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a accordé, le mercredi 12 novembre 2025, une grâce présidentielle à l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Cette décision, présentée officiellement comme une réponse à une demande « humanitaire » du président allemand Frank-Walter Steinmeier, a immédiatement provoqué un vif débat dans l’espace public et médiatique algérien.
D’un côté, elle a été saluée comme un geste de clémence souverain ; de l’autre, elle a relancé des interrogations sur la cohérence de l’action de l’État face à des affaires similaires et sur les dynamiques complexes de la diplomatie algérienne.
Les circonstances de la grâce et les réactions officielles
La présidence algérienne a justifié sa décision par des motifs strictement humanitaires. Dans un communiqué, elle a indiqué avoir répondu favorablement à une demande du président allemand, datée du 10 novembre, invoquant « l’âge avancé » et « la fragilité de l’état de santé » de Boualem Sansal, âgé de 81 ans et traité pour un cancer. Le communiqué précise que l’écrivain sera transféré en Allemagne pour y recevoir des soins médicaux.
Cette annonce a été accueillie avec « soulagement » par les autorités françaises, qui réclamaient depuis des mois un « geste d’humanité » en faveur de l’écrivain, récemment naturalisé français. Le président français Emmanuel Macron a remercié son homologue algérien pour ce « geste d’humanité ». Du côté algérien, les partis soutenant le pouvoir, comme le FLN et le RND, ont présenté cette décision comme un acte de souveraineté et un refus de tout chantage extérieur, notamment français. Certains éditorialistes pro-gouvernementaux ont insisté sur le fait que la grâce était intervenue après des déclarations françaises sur « l’inutilité d’un bras de fer » et n’était donc pas une concession à la pression.
Le parcours judiciaire de Boualem Sansal et le cœur du contentieux
Pour comprendre l’ampleur des débats, il faut revenir sur les raisons de l’incarcération de l’écrivain. Boualem Sansal a été arrêté le 16 novembre 2024 à l’aéroport d’Alger à son retour de France. Les poursuites à son encontre découlaient de déclarations faites en octobre 2024 sur le média français d’extrême droite Frontières. Il y avait soutenu qu’une « partie du territoire actuel de l’Algérie », notamment des régions de l’Ouest comme Oran et Mascara, « appartient historiquement au Maroc ».
Ces propos ont été jugés « attentatoires à l’intégrité et à l’histoire de l’Algérie » et constituant une « atteinte à l’unité nationale ». En mars 2025, il a été condamné en première instance à cinq ans de prison, peine confirmée en appel le 1er juillet. Sa détention est rapidement devenue l’un des principaux points de crispation dans une crise diplomatique plus large entre l’Algérie et la France, crise déclenchée en juillet 2024 par la reconnaissance par Paris d’un plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental.
Un débat national aux interprétations divergentes
Au-delà des communiqués officiels, la grâce accordée à Boualem Sansal a ouvert un débat de fond dans la société algérienne, révélant des lignes de fracture politiques et philosophiques.
- Une lecture pragmatique et souverainiste : Les défenseurs de la décision y voient la marque d’un pragmatisme présidentiel. Accepter la médiation allemande plutôt que française permet à l’Algérie d’accorder une faveur humanitaire tout en préservant sa fierté nationale dans un contexte de tensions bilatérales extrêmes avec l’ancienne puissance coloniale. L’historien Emmanuel Blanchard, invité sur France Culture, rappelle d’ailleurs que l’Allemagne entretient une « longue tradition de relations » avec l’Algérie, ayant été un refuge pour le FLN pendant la guerre d’indépendance, ce qui en fait un intermédiaire historiquement plus acceptable.
- Une lecture critique et questionnante : À l’inverse, des voix critiques, sans nécessairement s’opposer à la libération de l’octogénaire malade, pointent ce qu’elles perçoivent comme des incohérences du régime. Elles questionnent la sévérité initiale de la condamnation pour des propos tenus à l’étranger et mettent en lumière le contraste frappant entre ce geste de clémence et la répression persistante de la liberté d’expression à l’intérieur du pays. Selon un rapport d’Amnesty International publié en avril 2025, les autorités algériennes ont intensifié ces derniers mois la répression de toute opposition pacifique, procédant à des arrestations arbitraires et à des poursuites judiciaires aboutissant à de lourdes peines de prison pour des militants et des journalistes, souvent sur la base de simples publications en ligne.
Le cas emblématique cité par l’ONG est celui du militant et poète Mohamed Tadjadit, condamné à cinq ans de prison seulement quatre jours après son arrestation, en janvier 2025, pour des messages relayant le hashtag de protestation « #Manich_Radi » et des poèmes à connotation politique. Cette dissonance alimente les interrogations sur les critères qui président à l’exercice de la grâce présidentielle.
Un geste aux multiples implications
La grâce présidentielle accordée à Boualem Sansal dépasse le cadre strictement humanitaire ou judiciaire. Elle s’inscrit dans un jeu diplomatique complexe à plusieurs niveaux :
- Une porte ouverte vers l’apaisement avec la France ? : Alors que les relations sont au point mort depuis plus d’un an, avec des expulsions de diplomates et le rappel des ambassadeurs, ce geste est analysé comme une possible volonté d’apaisement du côté algérien. Il pourrait créer une fenêtre d’opportunité pour rétablir un dialogue. Cependant, d’autres contentieux persistent, comme l’affaire du journaliste sportif français Christophe Gleizes, toujours emprisonné et dont le procès en appel est prévu.
- La confirmation du rôle de médiateur de l’Allemagne : Le succès de la médiation allemande consolide le rôle de Berlin comme un partenaire de confiance pour Alger, capable d’agir dans des dossiers sensibles où la France est perçue comme une partie prenante et non comme un intermédiaire neutre. Le président Steinmeier a lui-même insisté sur le fait que ce geste refléterait « les excellents rapports entre nos deux pays ».
- Un précédent dans le traitement des dissidents : Le transfert de Boualem Sansal vers l’hôpital de la Charité en Allemagne, un établissement réputé ayant déjà accueilli des dissidents comme Alexeï Navalny, pose également la question de l’usage de la raison médicale comme issue à des crises politiques ou judiciaires impliquant des personnalités controversées ou critiquant le pouvoir.
Le débat suscité par cette affaire touche à des questions fondamentales pour la société algérienne : la souveraineté nationale, l’exercice de la justice, les limites de la liberté d’expression et la gestion des relations avec l’étranger. Si la libération de Boualem Sansal a été actée, les discussions sur sa signification et ses implications, elles, sont loin d’être closes. Elles révèlent les tensions entre la volonté d’affirmation d’un État souverain sur la scène internationale et les attentes d’une partie de la société civile concernant l’équité et la cohérence du droit à l’intérieur du pays.









